PST Interviewes Alain de Botton

Pouvez-vous nous décrire le moment où vous avez décidé d’écrire Comment Proust peut changer votre vie ?
Je venais de finir ma madeleine du soir et ma tisane, et m’apprêtais à me coucher ("Lorsqu’on est triste, il est réconfortant de se coucher dans la chaleur de son lit et là, tout effort et tout combat laissé de côté, et même peut-être avec sa tête sous les couvertuures, de se laisser complètement aller aux gémissements, comme les branches dans le vent d’automne" Jean Santeuil), lorsque je tombai, dans les pages du ARTP, sur une citation du maître: "Il ne fait aucun doute que les charmes d’une personne sont moins fréquemment la cause de l’amour que de remarques comme 'Non, cet après-midi, je ne serai pas libre'." Je fus une nouvelle fois frappé par la sagesse du maître, sa capacité à distiller une impression dans des phrases à la fois élégantes, profondes et spirituelles. Cela m’a suggéré l’écriture d’un livre que je qualifie de digression personnelle basée sur la vie et les écrits de Proust.

Combien de fois, après avoir lu Proust, vous êtes-vous pris à dire "Proust dit que..."?
L’effet de la lecture de Proust se traduit par le fait que quotidiennement, et même chaque heure, reviennent des expressions telles que "cela semble tellement Proustien ," au sujet d’événements que Proust vous a aidé distinguer. Aujourd’hui par exemple, jour comme les autres à Londres, j’ai remarqué les choses suivantes qui m’ont fait penser à Proust- des adolescentes qui achètent des chapeaux (Albertine), une femme de chambre Philippine qui fait les courses pour ses maîtres (Francoise), une collègue de travail teigneuse (la Duchesse de Guermantes)...

Avez-vous pu faire vôtres les leçons de Proust au sujet des relations amoureuses, et ressentir moins de douleur lors d’une rupture? Ou bien est-ce le type d’expérience que vous arrivez à intellectualiser et à positiver, sans savoir comment elle fonctionne sur vous ? 
J’essaye toujours de lire les livres de telle façon qu’à la fin de leur lecture, ma vie puisse s’en trouver changée. Je m’ouvre au livre, à une expérience qui me transforme. Malheureusement, dans mon cas, la femme que j’aimais lorsque j’ai écrit mon livre sur Proust (Kate, qui apparaît sur une photo du livre) ne vit plus avec moi: nous étions embarqués dans un conflit du style le narrateur-Albertine, dans des moments de jalousie etc. Proust ne m’apporte pas beaucouup de conseils dans ce type d’histoire, il m’aide simplement à comprendre la dynamique du processus.

Qualifieriez-vous vos années d’enfance de Proustiennes ? 
Il y eut certainement des choses Proustiennes dans mon éducation. J’ai grandi dans une maison où l’on parlait le français, en Suisse; j’avais une grand-mère dont les passages du narrateur sur sa grand-mère me rappellent la douceur et l’intelligence des choses. Beaucoup des plats que nous mangions se trouvent dans le livre de Proust, ma famille passait les vacances de Noël dans un grand hôtel à la montagne, et j’ai établi un lien entre Balbec et cet endroit, qui avait lui aussi son lot de personnes antipathiques et de groupes de charmantes jeunes filles - dont je suis tombé follement amoureux dans ma tendre adolescence. J’ai connu mon premier baiser avec une jeune fille du nom de Julia, dans sa chambre et dans des circonstances très similaires à celles du premier baiser du narrateur à Albertine. Elle aussi a mis le holà très rapidement, mais elle n’a pas actionné la sonnette.

Y a-t-il une question qu’on ne vous a jamais posée, et pour laquelle vous avez une réponse toute prête ?

Personne ne m’a jamais demandé si j’aurais aimé rencontrer Proust. La réponse est non, et j’en suis presque fier. Les meilleures choses sont dans les grands livres!
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P Segal 


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