Toute l'écriture est de la cochonnerie.
Les gens qui sortent du vague pour essayer de
préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée,
sont des cochons.
Tout la gent littéraire est cochonne, et
spécialement celle de ce temps-ci.
Tous ceux qui ont des points de repère
dans l'esprit, je veux dire d'un certain côté de la tête,
sur des emplacements bien localisés de leur cerveau, tous ceux qui
sont maîtres de leur langue, tous ceux pour qui les mots ont un sens,
tous ceux pour qui il existe des altitudes dans l'âme, et des courants
dans la pensée, ceux qui sont esprit de l'époque, et qui
ont nommé ces courants de pensée, je pense à leurs
besognes précises, et à ce grincement d'automate que rend
à tous vents leur esprit,
- sont des cochons.
Ceux pour qui certains mots ont un sens, et certaines
manières d'être, ceux qui font si bien des façons,
ceux pour qui les sentiments ont des classes et qui discutent sur un degré
quelconque de leurs hilarantes classifications, ceux qui croient encore
à des"termes", ceux qui remuent des idéologies ayant pris
rang dans l'époque, ceux dont les femmes parlent si bien et ces
femmes aussi qui parlent si bien et qui parlent des courants de l'époque,
ceux qui croient encore à une orientation de l'esprit, ceux qui
suivent des voies, qui agitent des noms, qui font crier les pages des livres,
-ceux-là sont les pires cochons.
Antonin Artaud
in "L'ombilic des Limbes",
Poésie, Gallimard
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