J'ai senti vraiment que vous rompiez autour de
moi l'atmosphère, que vous faisiez le vide pour me permettre d'avancer,
pour donner la place d'un espace impossible à ce qui en moi n'était
encore qu'en puissance, à toute une germination virtuelle, et qui
devait naître, aspirée par la place qui s'offrait.
Je me suis mis souvent dans cet état d'absurde
impossible, pour essayer de faire naître en moi de la pensée.
Nous sommes quelques-uns à cette époque à avoir voulu
attenter aux choses, créer en nous des espaces à la vie,
des espaces qui n'étaient pas et ne semblaient pas devoir trouver
place dans l'espace.
J'ai toujours été frappé
de cette obstination de l'esprit à vouloir penser en dimensions
et en espaces, et à se fixer sur des états arbitraires des
choses pour penser, à penser en segments, en cristalloïdes,
et que chaque mode de l'être reste figé sur un commencement,
que la pensée ne soit pas en communication instante et ininterrompue
avec les choses, mais que cette fixation et ce gel, cette espèce
de mise en monument de l'âme, se produise pour ainsi dire AVANT LA PENSEE.
C'est évidemment la bonne condition pour créer.
Mais je suis encore plus frappé de cette
inlassable, de cette météorique illusion, qui nous souffle
ces architectures déterminées, circonscrites, pensées,
ces segments d'âmes cristallisés, comme s'ils étaient
une grande page plastique et en osmose avec tout le reste de la réalité.
Et la surréalité est comme un rétrécissement
de l'osmose, une espèce de communication retournée. Loin
que j'y voie un amoindrissement du contrôle, j'y vois au contraire
un contrôle plus grand, mais un contrôle qui, au lieu d'agir
se méfie, un contrôle qui empêche les rencontres de
la réalité ordinaire et permet des rencontres plus subtiles
et raréfiées, des rencontres amincies jusqu'à la corde,
qui prend feu et ne rompt jamais.
J'imagine une âme travaillée et
comme soufrée et phosphoreuse de ces rencontres, comme le seul état
acceptable de la réalité.
Mais c'est je ne sais pas quelle lucidité
innommable, inconnue, qui m'en donne le ton et le cri et me les fait sentir
à moi-même. Je les sens à une certaine totalité
insoluble, je veux dire sur le sentiment de laquelle aucun doute ne mord.
Et moi, par rapport à ces remuantes rencontres, je suis dans un
état de moindre secousse, je voudairs qu'on imagine un néant
arrêté, une masse d'esprit enfouie quelque part, devenue virtualité.
in "L'ombilic des Limbes",
Poésie, Gallimard
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