Rencontres Littéraires avec Marcel P.
Contribution de Dana Cook

Certaines personnes collectionnent les timbres. D'autres les papillons. D'autres encore les étiquettes de bouteilles de bière. Dana Cook, un éditeur/écrivain indépendant de  Toronto et édité à compte d'auteur, collectionne les Rencontres Littéraires, qu'elle décrit ainsi: "récit à la première personne de rencontres (physique ou littéraire) entre personnages littéraires de premier ordre.
Combinant les autobiographies, mémoires, carnets, journaux et lettres, Dana est tombé par hasard sur de nombreuses references au saint patron de cette publication et me les a fait parvenir. Voici quelques unes de ces références.
 
...Jacques Raverat...m'a envoyé une lettre au sujet de Mrs Dalloway, en compagnie de laquelle j'ai vécu l'un des moments les plus heureux de ma vie. Je me demande si, cette fois-ci, je suis venue à bout de quelque chose d'intéressant. De toutes façons, rien en regard de Proust, dans la lecture duquel je me suis lancée. L'incroyable, chez Proust, c'est cette combinaison de la plus profonde sensibilité avec la plus extrême ténacité. Il part à la recherche de la moindre parcelle de ces ombres de papillons . Il est résistant comme une corde de violon et évanescent comme une fleur de papillon. Et je suppose qu'il va à la fois m'influencer et me facher avec toutes les phrases que j'écrirai.  
Un jour bien meilleur, poursuivi en compagnie de Monsieur Proust. J'en ai fini avec maintenant quatre volumes. C'est un écrivain exquis, mais en ce qui concerne le pompeux et la complexité du style, il fait resembler Henry James et Osbert Sitwell à Berta Ruck. Quel type pénible et affecté il a du être, mais quelle perception extraordinaire de méticulosité.  
(...)...Neal [Cassady] aimait lire Proust à haute voix, et disait 'Ecoute donc ceci. Je veux juste te faire entendre ceci--c'est un paragraphe, juste un petit paragraphe...' et il lisait doucement et distinctement la prose compliquée, faisant fi des tentatives de Jack [Kerouac] pour corriger sa pronociation du français. (...)
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Je lis lentement Proust et me rends compte que je peux écrire comme lui. [Ces Beats ont vraiment fait de grandes choses!] Bien sûr il est meilleur, mais je suis plus jeune, et bien que moins brillant, il me reste, grâce à votre aide et votre patience, une chance d'apprendre. Je suis terriblement intéressé par la vie et regrette que vous ne soyez pas ici pour partager mes rêveries et mes commentaires au sujet des choses vivantes et mortes qui passent sous mon regard de façon si insaisissable.  
16 Juillet [1946]
(...)
Déjeuner avec Barleto chez une Brésilienne, écrivain et traductrice. Charmante maison à flanc de colline. Bien sûr, il y a beaucoup de personnes et parmi elles un romancier dont on dit qu'il a écrit le Brazilian Buddenbrooks, mais qui témoigne d'une curieuse ignorance culturelle. Si j'en crois B., le romancier aurait dit "les auteurs Anglais comme Shakespeare, Byron, ou David Copperfield." D'un autre côté, il est très lu. Comme il m'importe peu qu'il confonde David et Charles, je le trouve très intelligent. Au déjeuner, le couscous brésilien se transforme en gâteau de poisson. Ma demande à voir un match de football suscite l'intérêt parmi les invités, et la simple mention de ma longue carrière de joueur de football provoque un délire général. Sans le savoir, je suis tombé sur leur principale passion. Mais la maîtresse de maison traduit du Proust, et tout le monde ici est très bien informé sur la culture française. Par la suite, je suggère à B. d'aller faire une promenade dans la ville.
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"La chambre de Marcel Proust, dans son appartement du Boulevard Haussmann, fut la première chambre noire dans laquelle j'assistais presque tous les jours, ou pour être exact presque toutes les nuits puisqu'il vivait la nuit, au développement d'une grande oeuvre. Il était encore inconnu, mais nous avions aquis, dès notre première visite, l'habitude de le considérer comme un écrivain illustre. Dans cette pièce étouffante, remplie de fumée et de la poussière qui recouvrait les meubles comme une pelisse grise, nous regardions une ruche en effervescence dans laquelle les milliers d'abeilles de la mémoire effectuaient leur travail."

"Je ne me souviens pas de ma première rencontre avec Proust. Je le vois, avec sa barbe, assis sur les banquettes rouges de Larue (1912). Je le vois, sans barbe, chez madame Alphonse Daudet. Je le vois à nouveau, mort, avec à nouveau cette barbe. Je le vois, avec et sans barbe, dans cette chambre encombrée de flacons médicinaux et aux murs recouverts de liège ; je le vois dans son sordide dressing, boutonnant une veste couleur lavande sur un misérable torse qui ne semblait renfermer rien d'autre qu'un mécanisme d'automate; je le vois allongé, ganté; et je le vois debout, mangeant des nouilles."

 
"Annette Kolb, que j'apprécie peu, à dîner. (...) Elle a fait l'éloge d'un romancier français du nom de Proust, ou quelque chose comme ça. L'ai raccompagnée au tramway.
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(...)La première partie de "Du Côté de chez Swann" m'a ravi; et je me suis dit: Ah! je suis resté trop longtemps éloigné de Proust; cet homme me permet de retrouver mon âme de Français, exactement comme Tolstoï a fait de moi un Russe, et chaque heure passée avec lui allonge la vie d'une année. C'était vrai tant qu'il en restait à la petite société provinciale de Combray. Mais Paris et Swann m'ont laissé un goût amer. Une merveilleuse description de la jalousie et même parfois de l'amour, mais fastidieuse au sens où les obsessions sont fastidieuses, et derrière cela on sent l'aigreur et l'ennui de la société Française, malgré sa culture, son raffinement, sa finesse, son intelligence; cette éternelle incapacité à rester jeune qui fait dire, lorsqu'on marche sur le Boulevard des Italiens: Dieu merci je suis américain ! Si je devais vivre là-bas, je deviendrais un tourbillon, un ouragan anarchiste, et je détruirais tout sur mon passage!  
(...) ... Le somnambulisme de Senhor Padroso m'a aussi rappelé Marcel Proust et sa Recherche du Temps Perdu. Proust, qui s'est laissé mourir de faim, révolté à l'idée de continuer à vivre après avoir mis le point final à son oeuvre, Proust qui,  en effet, s'est élégamment suicidé en cessant de se nourrir ... et je me demande si le Dr. Oswaldo finira, comme l'écrivain illustre, avec l'illusion d'avoir retrouvé le temps perdu...
 
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P Segal 


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