Une approche astrologique de Marcel P.
L'astrologie est ce type de sujets qui éveille autant de quolibets
que d'attention. Ceux qui y croient évoquent son efficacité
et sa précision, tandis que ses opposants la ridiculisent, arguant
que ce ne sont que généralités grossières.
Afin de me décider sur cette question, la véracité
de l'astrologie, j'ai demandé à une de mes meilleures amies,
Miss Vicky Pelino, de réaliser le thème de Proust, et de
voir si les étoiles arrivaient bien à le décrire.
Miss Vickie ne connaissait pas la vie de Proust, et elle n'a pas encore
lu son oeuvre. Ses interprétations, en conséquence, ne pouvaient
pas être biaisées. Quiconque a lu une biographie de Proust
sera d'accord pour admettre que ce qu'elle a trouvé dans son thème
est une description étonnamment précise de la nature de cet
homme extraordinaire.
Elle a d'abord dit que son signe est le Cancer, et que les Cancers ont
tendance à être patients et de bonne humeur. Le Cancer est
le signe de la mère, et par conséquent, c'est un signe difficile
pour un homme. Les lecteurs de Proust et de ses biographies attesteront
du fait que sa mère est une composante importante dans sa vie.
Je peux aussi citer ce passage, extrait d'un des livres de base de ma propre
bibliothèque, The Coffee Table Book of Astrology, edité par
John Lynch, au sujet du type "sophistiqué" des Cancers : "... un
maître de beaucoup d'humeurs. L'entière gamme d'émotions
lui est disponible; il peut ressentir, et faire ressentir aux autres, de
la joie, de la tristesse, de la compassion, de la peur et du désespoir
comme aucun autre signe ne peut le faire, s'emparant de l'imagination et
la retenant par le pouvoir de sa réthorique et l'intensité
de ses propres sentiments. Le passé et le futur lui sont aussi réels
que le présent. Sa mémoire est fidèle, et l'histoire
de sa propre nation, famille ou classe est d'une immense importance à
ses yeux. Il est le professeur par excellence (*)... Son style est
imagé, brillant, souvent dramatique, et il s'applique à délivrer
sans cesse son message, changeant et adaptant sa forme mais préservant
son essence, jusqu'à obtenir l'attention et l'embrasement d'enthousiasme
de son audience ... Les orateurs de tous types sont sous l'influence de
ce signe, de même ... que les hommes de lettres qui exercent une
emprise forte sur leurs lecteurs..." Mais ceci, évidemment, n'est
qu'une de ces généralités moquées par le détracteurs
de l'astrologie.
Trois autres facteurs jouent un rôle décisif dans le thème
astrologique: quelle planète était apparente au moment de
la naissance, la position de la lune, et les planètes présentes
dans le ciel, tout en haut, au midi du thème astral. En ce qui concerne
Proust, il a un Gémeau ascendant, la Lune dans le Taureau et Saturne
près du Midi. Gémeau ascendant dans la maison du Gémeau,
la maison de l'ego, crée les fortes personnalités. La position
de Neptune proche de l'ascendant déforme la toute puissance, et
contribue à une personnalité plus rêveuse, qui utilise
son charme afin d'assurer un contrôle de l'environnement social.
La Lune dans le Taureau indique une nature très féminine,
patiente et à la recherche de stabilité. La présence
de Saturne à midi est problématique. "Saturne est le Prince
de Karma," m'a dit Miss Vicky. "Cela traduit une sorte de pesanteur, d'oppression,
un truc coriace. Des restrictions, des limitations, et une perspective
très profonde mais très étroite, pas la vue large
et universelle, mais une focalisation très intense."
(*) NdT: en français dans le texte
"A thermometer was fetched...We
had no need to leave it there for long; the little sorceress had not been
slow in casting her horoscope."
Proust était à l'évidence une forte personnalité.
Il utilisa tout ce qui était à sa disposition pour grimper
les échelons de la réussite sociale, puis pour s'en échapper
afin de se cacher et d'écrire. Il avait, pour évoluer en
société, un incroyable charme, associés à une
correspondance abondante et extraordinaire, beaucoup d'esprit, et l'ascendant
psychologique que la faiblesse physique peut exercer sur les personnes
enclines à la culpabilité ou à la compassion. Plus
tard dans sa vie, lorsqu'il comprit que, pour pouvoir accomplir quoique
ce soit, il devait se retirer de la société stérile
du Faubourg Saint Germain , il se servit de sa santé pour s'absenter
sans se mettre à dos les personnes qui l'y avaient introduit.
Quant à la position de la lune, il était homosexuel, et donc
pas viril au sens ordinaire du terme. Seul un homme patient a pu passer
quatorze années à écrire un seul livre. Et la tendance
à la stabilité est traduite dans sa volonté de vivre
dans l'appartement familial jusqu'à la mort de ses parents, par
la nécessité de conserver un lieu de résidence qui
satisfasse toutes les exigences de son mode de vie excentrique, et par
les relations de type familial qu'il développa avec ses employés
de maison.
Neptune dans la première maison suggère une prise directe
sur le subconscient universel, mais peut-être aussi une personnalité
maladive manquant de dynamisme, boudeuse, enfantine et très sensible
aux critiques. Ainsi qu'il est mentionné dans l'article sur les
duels de ce même numéro, Proust était tellement sensible
aux critiques qu'il sortit de son lit de maladie pour se battre en duel
avec l'éditorialiste qui avait écrit une critique acerbe
de son premier livre.
Pluton dans la première maison est sujet à diverses interprétations.
Puisque Pluton n'a été découvert qu'au vingtième
siècle, les astrologue n'ont pas eu beaucoup de temps pour étudier
tous les aspects liés au positionnement de cette planète.
La tendance généralement admise est celle de la malléabilité,
plus particulièrement de l'ego, et à des niveaux profonds.
Quiconque est allé jusqu'au bout de la Recherche vous dira que le
Marcel qui, au début de sa vie, était un enfant jaloux, s'est
transformé en l'homme qui a compris cette perte d'énergie
que constitue la jalousie, et a ensuite abandonné cete position
pour devenir un écrivain.
Dans la troisième maison, le point au nord de la Lune est le Gémeau,
qui indique une tendance à la communication et une forte destination
à l'écriture. "C'est," a dit Vicky, "comme un 'grain de beauté'
dans le thème d'un écrivain." Cela suggère aussi une
âme sentimentale, et même si Proust n'était pas sentimental,
il en a certainement donné l'impression.
Le Soleil, Jupiter, Uranus et Neptune apparaissent tous dans la quatrième
maison. Ces planètes traduisent une forte ouverture à la
rêverie, aux impressions psychiques, un attachement très fort,
sinon incestueux, à la mère et à la maison, et de
bonnes dispositions à l'écriture, puisqu'ils suggèrent
une imagination débordante et une grande finesse psychologique.
La maison de l'amour et des relations humaines, la cinquième maison,
est dépourvue de toute occupation. Vicky m'a demandé s'il
avait été marié, s'il avait eu des enfants. "Non,"
lui ai-je dit, "Il était gay, et la plupart de ses relations intimes
eurent lieu avec des hommes, si bien qu'il n'uet pas de relations amoureuses
hétérosexuelles."
"Okay," dit-elle, "pas de mariage, pas d'enfants, pas de relation hétérosexuelle,
donc pas de planète dans la cinquième maison, donc pas de
problème."
Vénus n'est pas particulièrement bien placée dans
la sixième maison, celle où règne la vierge, elle
en est presque exclue. Cela traduit un esprit analytique obsédé
par le travail, le dévouement et la santé. La présence
de Mars dans cette maison suggère l'ambition, l'intensité,
l'envie de protéger et de défendre. Cela traduit l'énergie
et la passion, mais dans le champ du travail et de la santé plutôt
que dans le domaine physique.
La septième maison, celle de l'associativité, est, de même
que la cinquième, une maison vide, ce qui se traduit par une vie
solitaire. Evidemment, c'est exactement ce qui s'est passé pour
Proust, particulièrement dans la deuxième moitié de
sa vie. De même dans la huitième maison, celle du sexe et
de la mort, aucune planète n'apparaît; il eut une existence
non seulement solitaire mais aussi dépourvue de sexe.
La neuvième maison est celle de la découverte. Dans cette
maison, Marcel fut tourmenté par deux présences: le pôle
Sud de la Lune et le Seigneur de Karma, Saturne. Clairement, les voyages
ne lui étaient pas favorables. Et philosophiquement, sa vie fut
elle-même un difficile voyage; il était devenu une personne
d'importance dans la société, et cependant il découvrit
le néant de la société qui l'avait adopté,
et le traduisit dans son oeuvre. Son exploration de l'humanité fut
un long, intense et angoissant voyage, car il n'est pas un vice qu'il ne
mît en évidence. Son sens de l'humour, lui conférant
un style d'écriture euphorique mais implacable d'honnêteté,
l'aura sauvé. A bien regarder les vérités qu'il a
exhumées, il n'est pas étonnant que son existence fût
de plus en plus recluse, solitaire et sans sexe.
"Our lives are in truth,
owing to heredity, as full of cabalistic ciphers, of horoscopic castings
as if sorcerers really existed."
Les trois dernières maisons de son thème astral sont dépourvues
d'influences planètaires, ce sont les trois maisons les plus impersonnelles.
La dixième, la carrière, est vide puisqu'à l'évidence
il n'eut pas de carrière. La onzième, la fraternité
universelle, semble peu sujète à être habitée
dans la vie d'un snob invétéré et d'un reclus. Enfin
la douzième, la maison de l'esprit, est également vide. Ce
vide peut vouloir dire aussi qu'il n'y avait aucun problème avec
ces thèmes.
Troublée, j'ai regardé en détail les deux thèmes
que Vicky m'avait donnés, celui de Proust et le mien. Je m'attendais
à trouver un signe qui expliquerait ma fascination toute particulière
pour cet homme. Alors que Vicky détaillait les divers éléments
de mon horoscope, un tel signe apparut: la présence de Pluton dans
le Lion, le signe de l'amour, dans la dixième maison, celui de la
carrière et du succès en société.
C'est lorsque je parvins à la fin de la Recherche que ma vie se
transforma. Après une vie pleine de ruptures amoureuses douloureuses,
Proust m'indiquait que les ruptures qui m'avaient tant fait souffrir dans
le passé étaient virtuellement inconcevables dans le présent,
que d'autres amours peuvent apparaître et nous rendre à nouveau
malheureux de toute autre manière. Je réalisai qu'il n'y
a pas de raison de souffrir à ce point à la mort d'un amour,
et que c'est du temps perdu. Cela ne signifie pas que les moments délicieusements
heureux d'un nouvel amour sont sans fondement; c'est le desespoir qui n'a
pas de sens. Quelle guérison! J'en fus véritablement transformée.
Ce fut cette leçon de Proust qui m'incita à écrire
à son sujet. J'ai produit de nombreux écrits dans ma vie,
certains m'ayant rapporté plus d'argent que ce magazine préféré
(magazine qui me couvre d'une dette qui croit avec une régularité
terrifiante). Mais rien ne m'a jamais autant imposé aux yeux du
public, rien n'a jamais suscité autant d'amitiés partout
dans le monde. Je dois remercier Pluton pour cette apparition fortuite,
et Proust pour m'avoir transformée; je regrette seulement de ne
pas l'avoir lu plus tôt..